Du cross au Marche et vol, Joël Régnier raconte sa redécouverte d’un vol libre qui le rend enfin heureux et apaisé.
L’hiver a été long avec beaucoup de neige et le manque de vol se fait sentir sur mon moral. J’attends donc les premières bonnes journées du printemps avec impatience. Après une année 2017 pas terrible, j’ai reporté mes objectifs de cross à cette nouvelle saison. Encore faut-il être disponible le bon jour et être au bon endroit. Ce qui n’est pas évident lorsque l’on doit concilier sa passion avec le boulot et la vie de famille.
24 mars 2018 : une des premières journées prometteuses de l’année et en plus ça tombe sur un week-end où je suis disponible. Il y a encore beaucoup de neige en montagne alors je décide d’aller à Saint-Hilaire. Je laisse la voiture à l’atterro de Lumbin et monte à pied. Je rejoins le plateau rapidement. Hélas, les décollages sont bondés, il y a bien cinquante personnes au déco sud et ça continue d’arriver. Moi qui aime la tranquillité, j’ai presque envie de faire demi-tour et redescendre à pied. Puis je me dis qu’il suffira de décoller rapidement et qu’il y aura plus de place en l’air. Mais les conditions sont et on est un peu les uns sur les autres. J’ai du mal à me concentrer sur le pilotage et le centrage des thermiques, tant il faut surveiller les autres pilotes. Le passage de la combe de Manival en direction de Grenoble n’est pas facile et je me traine. Grosse fermeture asymétrique et je perds quelques dizaines de mètres d’altitude. Voler en cocon (Advance Lightness 1ère génération) est certes plus aérodynamique qu’une sellette assise mais ce n’est pas terrible quand ça ferme. Ensuite les conditions s’améliorent mais j’ai encore droit à une belle frontale ai-dessus de la dent de Crolles. C’est dans ces moments-là qu’on apprécie de voler avec une voile ENB (Ozone Swift 4). Le moral en prend un coup et de toute façon il est déjà tard pour espérer faire un long cross. Au final, je rentre déçu alors que je devrais me réjouir de ces conditions printanières.
Quelques semaines plus tard, en avril, plusieurs journées s’annoncent fumantes. Pas de chance, je suis au boulot et, frustré, je regarde le soir les traces de vols sur internet. Le samedi matin, je me fais violence pour me lever tôt car le week-end de vol s’annonce encore excellent. Mais pas question de retourner sur Saint-Hil’ où il aura du monde. Alors direction du col de Tamié, un site plutôt tranquille, les pilotes préférant décoller du Meruz, un peu plus au nord. Au déco, deux sont prêts à partir. La journée est excellente. Après plusieurs heures de vol et une centaine de kilomètres parcourus en triangle, retour sous le déco. Je suis content de mon vol et le soir, je m’empresse de déclarer mon vol à la CFD. Je m’aperçois que Plusieurs pilotes ont fait des triangles FAI de 150 km. Nouvelle frustration ! Voler devrait m’apporter du bonheur mais il y a toujours cette frustration en toile de fond : ne pas être au bon endroit, au bon moment, ne pas être dispo le jour J, ne pas faire le bon parcours ou ne pas être assez ambitieux…
Le parapente devrait être une passion qui m’enrichit mais le cross est devenu une drogue qui me ronge et cette année je le ressens comme jamais ! Moi qui aime vivre au milieu de la nature, partager un instant de vol avec des rapaces, voler au milieu des nuages, poursuivre ces objectifs de vol de distance me frustre de plus en plus. Pourquoi suivre ces larges vallées, autoroutes du ciel, qui garantissent des kilomètres faciles mais sans beaucoup d’intérêt ? Pourquoi, alors qu’il existe une autre façon de voler, plus en harmonie avec la nature ? Je sens que je suis au point de rupture .
C’est décidé, je dois revenir à l’essence du vol, à la simplicité, ce qui m’a poussé à voler à mes débuts, il y a plus de 20 ans. J’aime la solitude en montagne parce qu’elle permet de mieux être à l’écoute de la nature. Monter à pied pour m’imprégner des paysages, sentir les conditions de vol et trouver le meilleur décollage… Cela rend chaque vol encore plus beau.
Alors je m’équipe avec une voile montagne (Ozone Ultralite 4 pour son faible poids et sa compacité) et d’une sellette string (Advance Strapless). Un mini vario-GPS (Syride Sys’nav V3) et d’un sac de portage ultraléger (Gossamer Gear Mariposa) et je suis prêt pour l’aventure. Pour être franc, mes premiers vols avec ce nouvel équipement sont hésitants, peut-être en raison du faible allongement et du suspentage relativement court. Sans parler du vol assis dans un bout de tissu renforcé par quelques sangles dyneema. Mais après quelques vols, je prends rapidement confiance dans le potentiel de cette petite voile légère et surtout de toute la liberté qu’elle m’offre.
L’été venu, nous partons pour 3 semaines dans le Queyras. A nouveau je me sens tiraillé entre ma voile de cross et ma voile montagne. Il n’est pas toujours facile de se libérer de ses démons. Je pourrais prendre les deux mais la voiture est déjà bien remplie. Alors, je choisis mon Ultralite 4. Cet été 2018 s’avèrera bizarre : peu de vent (contrairement à 2017) mais des orages fréquents dans l’après-midi ou en soirée. Et ça tombe bien pour moi qui rêvais depuis des années de grimper à pied et de décoller des faces Est surplombant le village de Molines-en-Queyras. Levé à 5h30, j’avale les 800m de dénivelé avec jouissance, à la fraiche, à l’écoute de la faune qui se réveille. Là je surprends un aigle perché sur un arbre, là c’est un chevreuil tout étonné de me voir. J’ai l’impression de revivre. J’écoute et surtout j’observe, à la recherche d’un décollage idéal. Là-bas ce sera parfait. Sur la face Est convoitée, un aigle royal fait l’essuie-glace au pied de la falaise… peut-être que je devrais patienter un peu. Les conditions se renforcent et les vautours fauves se joignent au bal. Attendez-moi ! Ce ne sont pas des conditions atomiques mais avec de la patience j’arrive à sortir au sommet de la Roche des Clos. Les cumulus sont maintenant bien formés. Je survole la pointe de Rasis et la pointe de la Selle. Oh lala que c’est beau ! Les voiles qui ont décollé de Ceillac sont 1000 mètres en-dessous et ne partageront pas cette tranche de l’atmosphère car c’est beaucoup trop stable en bas. Je me balade dans ces paysages magnifiques, je suis à nouveau heureux sous mon petit bout de chiffon, avec cette impression de vivre quelque chose d’unique. Les jours se suivront et se ressembleront. Tantôt seul, tantôt au cours d’une balade en famille, la voile fait maintenant toujours partie de mon sac de randonnée. Je me suis même offert le luxe d’un petit vol de distance de 60 km entre le col Agnel et le pic de Rochebrune, sans aucune pression que celle de me faire plaisir. Une autre fois, frigorifié, j’ai reposé sur un alpage pour me réchauffer et me restaurer, avant de redécoller. Les possibilités sont infinies et j’ai alors autant de plaisir à chercher de nouveaux itinéraires de montée pour rejoindre un possible décollage que de marcher puis de voler. Marcher et voler !
Lorsque le séjour se termine dans le Queyras, je n’ai plus envie de repartir tellement je suis bien. Mais finalement, pourquoi ne pas poursuivre dans la même lignée dans les Alpes du Nord, ce ne sont pas les montagnes sauvages qui manquent. Et c’est ainsi que je vais poursuivre ma saison de vol, avec chaque week-end un nouveau projet de vol, une nouvelle montagne à découvrir, vue du ciel (voir les différents vols réalisés depuis le printemps sur le site internet de Syride : pseudo « JR73FR »). J’ai la chance de croiser plus souvent des aigles royaux ou des vautours que des humains. Et à chaque fois, je vis cela comme une micro-aventure. Et quelle satisfaction personnelle lorsque tout fonctionne comme on l’a prévu. Au final, je ne regrette qu’une chose : de ne pas avoir changé de pratique plus tôt ! J’étais buté, toujours à la recherche des kilomètres parcourus. L’humain a toujours besoin de se comparer, même si c’est le pire qui puisse lui arriver. Je vis ce changement de cap un peu comme une seconde naissance et je me sens beaucoup plus apaisé, je profite pleinement des moments en famille sans me torturer l’esprit à penser aux conditions de vol et si je n’ai pas manqué LA journée de vol de l’année. Alors si comme moi vous ne vous reconnaissez plus dans cette course au matériel ou aux chiffres de la CFD, si comme moi vous vous sentez souvent frustré, faites le grand saut vers le Marche et Vol, vous ne le regretterez pas.
Joël Reignier : joel.reignier@polymtl.ca