Ce n’est pas la suite de son article technique sur le cross paru dans Parapente Mag N° 152 ! Mais son résumé des faits, suite à la disqualification des Ozone Enzo2 en compétition début 2014.
©Ozone
« Ok c’est parti. Petit résumé en plusieurs étape. Je remonte un peu loin en arrière de la compétition pour le contexte.
Automne 2011, Villeneuve, Suisse.
Alors que nous travaillons en urgence sur la finalisation de la Enzo1, la vieille de présenter la voile à Air Turquoise, une manœuvre nous fait finalement choisir entre une base de R10.2 ou de R11: la frontale accéléré à fond. Pour avoir des chances de succès dans ce test, il faut que la voile se casse quelque part entre 30% (le minimum réglementaire) et 50% de la corde. Si la voile est trop solide, quand on tire dessus, elle ne casse pas comme elle le ferait sur une vraie fermeture subie, elle accélère encore puis vient tout entière vers le pilote et, avec de tels allongements, c’est alors très difficile d’avoir de bons résultats. Avec la R11, nous buttons sur ce problème de grande solidité du profil pour des vitesse supérieures à 55km/h; le dosage de la frontale est alors trop difficile à réaliser et nous risquons d’échouer à l’homologation. Aux trois quarts d’accélérateur, c’est bon, mais la vitesse est un peu faible pour une voile de compétition. C’est là le grand paradoxe de l’homologation qui incite les concepteurs à faire des profils plus fragiles, trop fragiles parfois, afin de pouvoir obtenir une vitesse maximum homologable plus élevée. Pour cette Enzo1, nous nous sommes donc finalement rabattu sur une base de R10.2, dont le profil plus classique se trouve par bonheur à un compromis acceptable de fragilité pour la vitesse que nous ciblons.
Printemps 2013, Bar-Sur-Loup, France.
Je commence à songer au renouvellement de cette Enzo1. La Boom9 de chez GIN a montré un potentiel supérieur lors de la superfinale en janvier dernier. Les défauts de la Enzo1 sont maintenant nettement identifiés : 1- faible capacité en basse vitesse qui la rend technique dans la grappe serrée 2- faible stabilité à haute vitesse qui la rend particulièrement fatigante et difficile en conditions fortes dans lesquelles l’IcePeak6 à fois solide et rapide tire souvent mieux son épingle du jeu. Deux problèmes qui auraient déjà pu être réglé à l’origine avec une base de R11 s’il n’y avait eu ce délicat test de la frontale accélérée à fonds.
Mais, pour ne rien simplifier, en ce printemps 2013 donc, le labo de test Para-Test a décidé de durcir ses règles internes en matière d’homologation de voile de compétition. Il faut désormais avoir au moins deux bons résultats sur les 4 premières tentatives d’une manœuvre. Pas vraiment de place pour une trop grande technicité dans l’exécution des fermetures. Je prend donc le parti d’améliorer la Enzo1 par un profil shark nouvelle génération modérément solide et par une très grande homogénéité structurelle dans l’envergure permettant de s’assurer un maximum de chance de réussite dans le test de la frontale. Pour cela, j’opte pour une nouvelle architecture de suspentage qui consomme un plus grand métrage de suspente mais qui devrait pouvoir être compensé par une meilleure restitution de la turbulence et par les quelques améliorations sur le profil. Nous visons les championnats du monde 2013 avec une date butoir très avancée. Après pas mal de péripéties, à la veille de présenter la voile en test nous décidons d’abandonner le projet car il n’y avait pas de vraies progrès en performance. Retour sur la planche à dessin pour un nouvel objectif, la superfinale 2013 en janvier 2014, ce qui nous laisse le temps de pousser encore plus loin le concept. C’est la naissance de la Enzo2. Rapidement les premiers protos s’imposent comme la solution. Julien Wirtz accepte de courir le British Open pour du beurre à Saint-André afin de tester les performances en situation réelle de compétition et en revient très positif. Nous réalisons quelques cross en grosses conditions qui nous rassure aussi. La voile est à la fois plus facile, plus sûr et plus performante que la Enzo1.
Automne 2013, Roquebrune, France.
Le site ouvre enfin, Russel se lance dans les tests de fermetures. Bien que le comportement soit très sain, la voile nous donne beaucoup de difficultés avec les fermetures. Nous risquons d’échouer à l’homologation par manque de répétitivité dans l’exécution de la fermeture. C’est vraiment frustrant car les réactions de la voile sont bonnes quand la fermeture est excécutée correctement, mais ce n’est pas assez souvent le cas ou trop difficilement contrôlable par le pilote test. La météo difficile et la date butoir qui arrive à grand pas nous pousse à la créativité. Parmi les très nombreux essais réalisés en près de 70 vols, nous trouvons qu’en raccourcissant le bord de fuite par des pinces et en reculant un peu les pattes d’attache des B du milieu de voile, les fermetures deviennent plus faciles à exécuter et à ajuster en taille. Nous présentons la voile ainsi à l’homologation avec succès mais nous réalisons que ces changements sur la voile ne sont pas vraiment souhaitables pour le vol en vraies conditions (voile fragile et contrôle moins directe du pilote). En continuant de travailler nous nous rendons également compte que nous aurions pu obtenir une répétitivité suffisante dans l’exécution des fermetures sans avoir à faire ces changements. Mais il est trop tard pour repasser la voile en test. Il est déjà temps de commencer la production pour que les voiles soient prêtes à temps pour la superfinale de janvier.
Nous relisons alors attentivement la norme et réalisons que les tolérances pour les dimensions de la voile (à l’exception du suspentage et des élévateurs) sont laissées à l’appréciation du constructeur. Notre interprétation est que la conformité des voiles se vérifiera donc par les tests en vols si d’aventure il y a des questions sur nos quelques différences dimensionnelles. Nous décidons de lancer la production sans inclure les modifications de dernières minutes réalisées sur la voile officiellement testée.
Janvier 2014, Governador Valadares, Brésil, temps et site magnifiques.
L’organisation de la coupe du monde a réussit le tour de bras fantastique de changer de site moins d’un mois avant la compétition pour s’adapter aux intempéries et à ses dégâts. Je suis arrivé avec une semaine d’avance pour avoir le temps de m’acclimater, m’entraîner et profiter un peu du Brésil après des mois de travail et de stress. Heureusement, d’ailleurs, car je n’allais pas être en reste dès le début de la compétition.
En effet, l’histoire allait nous montrer que nous avions fait une grave erreur. Nous n’avions pas anticipé que:
1- Notre voile serait vraiment supérieure à celle des concurrents. Dès les premiers jours de l’entraînement, chacun avait déjà pu en faire le constat et c’en était désolant pour les pilotes dominés. Une compétition est toujours beaucoup plus plaisante pour tout le monde, même pour le gagnant, quand le matériel est équilibré en performance. Cela n’arrangeait en rien l’animosité croissante de certains concurrents comme de certains compétiteurs résultant peut être de notre domination déjà trop longue dans le milieu de la compétition.
2- Le pilote/vérificateur avait préparé une nouvelle procédure surprise pour cette compétition consistant à mesurer les bords de fuites de certains modèles, dont notre Enzo2, comparé à une mesure faites sur le modèle stocké par la laboratoire. Au sein même du comité de la coupe du monde, le jour de la première manche, personne ne connaissait encore l’existence de cette procédure.
3- L’interprétation de la norme que nous proposions était trop gênante pour les laboratoires de test ainsi que pour la plupart des constructeurs qui y virent une mise en danger de leur business. Pour beaucoup de constructeurs, l’EN est aussi un précieux outil de vente de parapente contre la peur naturelle de s’écraser et il est important que les pilotes continuent d’y croire fort.
4- le comité de la PWC pouvait prendre des décisions dans un sens autre que celui de la simple justice avec des prétextes pragmatiques de survie de l’association.
Dès la première manche, Le bord de fuite du gagnant fut mesuré 40cm plus long que sur la voile homologuée alors qu’une IP7 pro 24 fut mesurée avec +8cm de bord de fuite. Les organisateurs étaient pris au dépourvu car aucune tolérance n’avait été décidée pour cette mesure. J’expliquais que c’était le cas pour toutes les Enzo2. J’en expliquai la raison, les pinces sur la voile de test, nos tolérances dimensionnelles pour le bord de fuite de cette voile et défendis le fait que nos voiles était néanmoins conformes. Je signai même une attestation de conformité de nos voiles par rapport au modèle de référence testé par le labo. Je pensais que des vérifications par test en vol en attesterait au final si nécessaire. Les compétiteurs en Enzo2 purent voler toute la compétition. De l’avis de tous, grâce à une organisation et un site sans faille, elle fut moralement éprouvante, belle, sportive, disputée et sacra un tout jeune pilote espagnol très talentueux : Francisco.
Février 2014, Villeneuve, Suisse.
La meilleure voile classée de chacun des trois premier constructeurs au classement général de la superfinale est comparée en tous points à la voile de test correspondante que le laboratoire AirTurquoise a stocké. Parmi les 3 voiles vérifiées, la Enzo2 M et la IP7 pro 24 sont déclarées non conformes par le laboratoire, tandis que des test en vol sont demandés par le laboratoire pour pouvoir se prononcer de la conformité de la Boom9 M. (les documents ici: http://www.xcmag.com/wp-content/uploads/2014/02/IP7P-24-EN.pdf ; http://www.xcmag.com/wp-content/uploads/2014/02/ENZO2-M-EN.pdf ; http://www.xcmag.com/wp-content/uploads/2014/02/Boomerang9-M-EN.pdf. )
– Sur la Enzo2 M vérifiée, celle de Francisco, les différences dans la longueur du bord de fuite et dans l’implantation des B centraux sont considérées trop importantes pour être le fait de tolérances de fabrication réalistes. Le laboratoire de test n’a pas suivi notre interprétation de la norme qui ne précise pas qu’il s’agit de tolérance de fabrication. Nous avons réclamé des test en vol pour attester néanmoins de la conformité des test en vol, mais la PWC nous l’a refusé et est reparti de Suisse avec la voile.
– Pour la Boom9M vérifiée, du fait de la présence de trims sur les élévateurs de la voile testée et d’une géométrie d’élévateur ensuite modifiée en production, laissant une ambiguïté dans la validité du calage final, Air Turquoise a demandé à réaliser des comparatifs et test en vol pour pouvoir se prononcer sur la conformité, demande également refusée par la PWC.
– La IcePeak7 pro 24 vérifiée, celle de Jean-Marc, a été jugé non conforme par le laboratoire, de façon irrévocable, au motif principal d’une course d’accélérateur excédent la course homologuée de plus de 3cm (18,4 cm au lieu de 15,0 cm). Le comité de la PWC, à la suite d’un rapport interne erroné minimisant les valeurs réellement mesurées par Air Turquoise, a déclaré la voile conforme malgré tout, bien que les tolérances PWC étaient clairement fixées à 7mm. Une excuse invoquée fut que tous les constructeurs testent leur voiles sans recouvrir les poulies d’accélérateur et que au final ce n’était le résultat que d’une triche du pilote qui a monté sa drisse d’accélérateur dans l’autre sens. Tester les voiles sans recouvrement des poulies n’était en réalité pas une pratique si courante chez les constructeurs. En 2012 et 2013, la IP6 était la seule voile de compétition à ma connaissance jouant à ce jeu. Je l’ai moi-même découvert pendant la superfinale 2012 à la suite d’une discussion avec le vérificateur PWC (accessoirement employé et sponsorisé par le constructeur en question) qui s’étonnait que les Enzo1 n’avaient même pas 10cm de distance entre faces externes de poulie alors que la course homologuée était de 12cm. L’idée de dénoncer ne m’avais jamais traversé l’esprit, je m’étais juste dit que c’était malin de laisser faire le boulot aux pilotes, que ça nous aurait permis d’homologuer la R11 plutôt que la R10.2 et j’avais gardé ça pour moi. Aujourd’hui que c’est un fait connu et accepté, j’en parle plus volontiers.
Au final, les pilotes de Enzo2, et eux seuls, ont été déclassés.
Certains ont avancé le fait que des différences sur la voile étaient plus graves que des différences sur les élévateurs, ce qui, de mon point de vue, est totalement irrecevable, tant d’un point de vue de concepteur que d’un point de vue des régles écrites. Je ne cache pas que j’ai mis beaucoup de temps à évacuer ma colère devant le grand sentiment d’injustice que me laissait cette décision. La colère maintenant passée, je comprends que faire payer aussi les autres ne nous aurait de toutes façon sans doute pas soulagé de nos dommages considérables à la fois financier et d’image de marque. Nous avons donc rapidement d’esssayer de nous battre pour nous consacrer à redresser notre situation. Les décisions de la PWC sont le résultat de raisonnements pragmatiques de survie de l’association. Faire sauter Ozone seul était la solution la moins pire, sacrifiant le moins grand nombre de sponsors, le moins grand nombre de pilote, et contentant au mieux l’opinion générale des pilotes et des forums.
Et en effet l’opinion générale n’était pas bonne pour Ozone. Nos opposants et autre experts autoproclamés s’en donnaient à cœur joie pour nous dénoncer. De notre coté, sonnés par les événements, nous avons peu et mal communiqué. Rafal Luckos, un bon ami, un super type, s’est tué en Enzo2 juste avant la compétition de Valle de Bravo et ça a fini de nous démolir. Russel et moi étions vraiment au fond du trou moralement et totalement épuisés. Nos collègues Fred et David n’en menaient pas large non plus. Les pilotes en Enzo2 dont beaucoup sont nos amis et dont nous sommes très attachés à les satisfaire par nos produits, étaient soit disqualifiés de la superfinale 2013, soit n’avaient pas pu participer à la première étape de 2014 à Valle de Bravo. Pour ne rien arranger, le laboratoire Para-Test recevait des pressions importantes de nos opposants pour empêcher de refaire les test en vol et en charge de la Enzo2 de production, test qui furent de ce fait retardés.
Car en effet, si la voile de production était capable de passer les test en vol, cela remettait trop en cause la thèse de la triche. Les : vous comprenez, ils ont des meilleures performances parce qu’ils ont rallongé le bord de fuite, si si, le bord de fuite, c’est la clef de la performance, d’ailleurs Russel a été mesuré avec 1cm de plus de longueur que d’autres afin d’être encore plus performant ; si si, ils ont homologué la voile avec une réduction du bord de fuite parce que ça ne serait pas homologable sinon ; ils ont ajusté les pattes d’attaches des B pour gagner en vitesse max (pourtant, une simple règle de 3 montre que cette modification ne fait gagner qu’un total de moins de 3mm sur la course d’accélérateur) ; il faut les bannir à jamais, ben oui, vous comprenez, ça serait bien qu’ils disparaissent, on serait tranquille ; ils ont triché, on va les viré de la PMA, ha ils en sont déjà partis, c’est pas grave, on va les interdire de partir ; ils ont triché, et d’ailleurs ils trichent sur toutes les voiles de leur gamme, c’est bien pour ça qu’elles sont plus performantes, on va les faire toutes vérifier pour les couler définitivement (le DHV a été dépêché chez AirTurquoise pour vérifier points par points toutes les voiles de la gamme Ozone) ; ha on a vérifié et on a rien à trouvé ? ils ont dû tricher quelque part pourtant. Les pressions furent telles que Alain Zoller invita toute la planètes des constructeurs et des labos à venir assister aux test, à venir tester eux-même et à examiner les vidéos.
Une fois la voile testée avec succès, ce furent des pressions sur le laboratoire, des: ils ont soudoyé Air Turquoise ; les tests ne sont pas valables car ils ont utilisé des suspentes de fermetures ; les suspentes de fermetures ne sont pas monté correctement ; la voile a due être modifiée ; etc. A l’heure qu’il est, alors que l’homologation est publiée, nous continuons de recevoir des attaques tantant de mettre en cause l’homologation.
Il y a deux semaines, je regardais mes collègues fatigués de tout ça, je regardais tous les bâtons qu’on nous a mis dans les roues depuis les 5 ans que je travaille pour Ozone, depuis le bbHPP avec les stick en carbon qui ne pouvaient pas s’enrouler autours d’un pied de table et que donc ce n’était pas un parapente en passant par l’open class qu’il fallait interdire et les lignes de fermetures qu’il fallait faire disparaître en même temps que les profils shark. Je regardais tout le temps et l’énergie qu’on nous a fait perdre. J’avais envie de leur dire, si on s’arrêtait un peu de travailler, si on se contentait de faire ce que fait la majorité des constructeurs. Ni plus, ni moins, gentillement, la vie serait quand même plus facile, non ? Et puis en compétition, on pourrait se garder les bons parapentes que pour Russ et moi, comme du temps d’Advance, ou pour un petit team fermé sponsorisé, et on nous foutrait la paix. Ça serai bien non ?
Non. Je préfère essayer de tourner la page, ignorer les attaques et me concentrer davantage encore vers le principal, vers ce qui m’importe le plus, concevoir des machines pour voler toujours plus loin, plus vite et en bonne compagnie, celle de tous ceux qui veulent bien partager la passion du vol avec moi. Ce qui m’a beaucoup touché, ce sont les soutiens de toutes sortes que nous avons reçu par tous les pilotes volant en Enzo2, pourtant les seuls vrais concernés par cette affaire. Je sais qu’Ozone va faire le maximum pour les en remercier et qu’ils ne regrettent pas trop leur disqualifications.
Et rajoute : Ozone n’a à l’heure actuel pas de problème avec les marques qui participent à la compétition, Niviuk, GIN, Axis, Dudek et quelques autres. Ce sont des marques inventives et qui travaillent sur de vrais produits originaux. C’est grâce à eux que la compétition est intéressante et que le sport avance. Nous avons en ce moment des problèmes avec quelques marques de la PMA, les plus conservatrices, de celles qui semblent prêtes à mettre des bâtons dans les roues des autres, plutôt que de travailler davantage sur leur produits. »